Poursuivant notre dialogue avec le Microlycée94, nous inaugurons un nouveau type de collaboration prenant la forme d'un projet de spectacle dirigé par les metteurs en scène et comédiens Clara Chabalier et Alexandre Pallu.
Sur l'ensemble de l'année scolaire les élèves de seconde vivront toutes les étapes, de la conception dramaturgique à la réalisation scénique, de la création d'une forme théâtrale centrée sur la question (poétique, artistique, politique) du portrait.
Cette création, portée conjointement par les équipes du microlycée et du Studio-Théâtre, sera présentée en fin d'année scolaire au Studio-Théâtre, dans les conditions d'une ouverture professionnelle.
Portrait(s)
Une résidence territoriale artistique et culturelle
menée par Clara Chabalier et Alexandre Pallu
avec les élèves de seconde du Microlycée 94
restitution le 2 juin 2017
Les partenaires : Microlycée 94 / Studio-Théâtre de Vitry / DRAC Île-de-France
Découvrez une étape de création, une pièce sonore intitulée Radio du lac
La pratique professionnelle de Clara Chabalier et Alexandre Pallu, jeunes artistes formés au sein des écoles nationales de théâtre, est intrinsèquement liée à la question de la transmission.
Ils n’imaginent pas cette transmission dans un rapport de maître à élève, mais cherchent à faire partager et mûrir des réflexions qui sont souvent à la source de leurs propres créations, à développer des axes de réflexion, à prendre le temps d’explorer des thèmes ou des terrains qui leurs sont chers. Ce projet est autant transmission qu’exercice de leur art à part entière.
« Nous prendrons pour matière première des portraits de personnalités recueillis dans la presse, écrite de préférence.
Une première phase consistera pour chaque élève à « instruire » un personnage choisi. Ils enquêteront sur lui, se questionneront sur son environnement, familial, social... :
dans quel environnement évolue-t-il ? Qui l'influence ? Quel est son rêve ? Son comportement en public est-il conforme à ses convictions intimes ? Qu'est-ce qui l'a poussé à agir de la sorte ?
Où est-il à présent ? Quel regard porte-t-il sur l'acte qui l'a rendu célèbre ? Quelles conséquences sur sa vie intime a eu la médiatisation de sa personne ?...
Un portrait, qu’il soit photographique ou écrit, contient toujours une trace de ce qui est passé, d’un état des choses qui est fixé et défini. C’est une empreinte qu’on laisse de soi, dont l’aspect définitif laisse transparaître en germe un inaccomplissement. Que la personne soit embellie ou critiquée, c’est bien ce qui est absent qui va nous intéresser, ce que l’on pourra se raconter et qui n’est que suggéré par le portrait. C’est ce manque qui permettra à l’acteur de créer la matière vivante de son personnage. Il ne s’agit donc pas tant de s’attacher à un réalisme des personnages qu’à une faille, une blessure, d’aller ouvrir une brèche et à partir de celle-ci, construire une fiction.
Nous commencerons par isoler une particularité qui nous parait symptomatique de la figure choisie. Il s’agira de définir les moyens de représenter le personnage puis de le mettre en jeu : par la posture, la gestuelle, le rythme mais aussi la rhétorique qui lui est propre, sa voix, sa façon de s’exprimer. Nous pourrons alors créer des rencontres de personnages, pour favoriser l’écoute entre les différents partenaires, et la construction collective d’une situation théâtrale par l’improvisation, puis peut être par l’écriture de petits fragments de textes pouvant être répétés.
L’écart entre vie privée et vie publique est également un axe central de réflexion, car il interroge notre mode de fonctionnement au sein d’une société hyper médiatisée.
Cet écart peut être rendu visible depuis le personnage (pense-t-il la même chose en privé et en public ?) ou depuis le contexte : la même phrase peut prendre des sens tout à fait différents selon qu’elle est énoncée dans un lieu privé ou prononcée devant des milliers de téléspectateurs. Une photographie de presse n’est pas porteuse du même message selon qu’elle apparaît dans un coin de page d’un journal gratuit, ou qu’elle est agrandie mille fois et exposée dans un musée. Sensibiliser au langage médiatique, en déchiffrer les arcanes, et maitriser le contexte à partir duquel on parle sont des pistes essentielles de travail. C’est aussi sensibiliser au monde dans lequel on s’inscrit, à partir duquel on parle, c’est établir un lien avec l’espace extérieur.
Il y a bien entendu l'envie de leur faire découvrir et chercher par eux-mêmes une matière qui pourra être reprise dans différents cours. Les enseignants reprendront les thèmes principaux de l'atelier en cours de français et d'histoire-géographie, et nous pensons aussi profiter de leur apprentissage de langues étrangères (anglais, espagnol, ou leurs langues maternelles éventuellement) pour les intégrer sur scène. Le théâtre développe des compétences individuelles : éloquence, confiance en soi, expression sous toutes ses formes, écoute, communication... autant de qualités essentielles pour raccrocher à l'univers scolaire, à la vie en société.
Nous avons également l'espoir que chacun livre un peu de lui-même dans la fiction, et puisse analyser le monde qui l'entoure sous un jour différent. Il s'agit d'exciter la curiosité, de se saisir de tous les prétextes pour utiliser ce qui a été appris en classe, de le mettre en application dans une recherche personnelle, afin de stimuler le désir de découvrir et d'apprendre par soi-même, pour soi-même, puis de le rendre visible aux autres.
Chaque séance commencera par un échauffement collectif permettant de favoriser l'écoute de groupe et la concentration. Un travail physique peut permettre de réveiller une attention et des émotions qui semblaient peu accessibles, nous tacherons de les révéler et de les « muscler ». Cette étape préliminaire est absolument essentielle afin de créer une ambiance de respect et de bienveillance commune. C’est un sas important pour apprendre à se connaitre, et appréhender une liberté du plateau. Une fois les personnages choisis, nous chercherons à créer des situations afin de construire une fiction qui permette de les réunir. Il est absolument essentiel que cette étape ne soit pas le fruit d’une décision préalable, mais provienne de ce qui aura été proposé sur le plateau.
Toutefois deux directions se dessinent :
si une fiction fait l’unanimité, et permet à chacun d’y trouver sa place, nous pourrons nous concentrer sur un seul univers qui constituera une forme commune.
nous pourrons également développer des situations imaginaires réunissant des combinaisons improbables de personnages: quelle conversation auraient Beyonce et Jacques Chirac? Ce braqueur, qu’aurait-il envie de raconter à l’acteur qui joue Batman?
La mise en situation et l’improvisation sont des moyens ludiques de faire émerger des problématiques qui nous engagerons vers une création. Qu’est ce qui nous parle ? Qu’est-ce qu’il nous importe de défendre publiquement ? De quoi est fait notre inconscient collectif ? Le plateau peut devenir un laboratoire d’observation des représentations de nos figures contemporaines, pour analyser la place des médias aujourd’hui. Comment parle le politique ? Qu’est ce qui le définit dans la cité ? Comment se comporte-t-il dans la sphère publique ? Et en privé ?
Nous apprendrons ensemble à peindre, dépeindre, repeindre ces figures, ces portraits qui constituent les archétypes de notre société moderne, et nous intéresser à leur fonction sociale.
Le théâtre a de tout temps représenté les visages qui constituaient son monde. Nous pourrons alors comparer les époques, et analyser les représentations modernes à l’aulne du répertoire théâtral. Qu’ont de commun Agamemnon et Vladimir Poutine ? Le bourgeois gentilhomme et Michel Platini ?
Il s’agit à tous moments de se placer en créateurs, en inventeurs. À force de discussions et de questionnements sur ce qu’il nous importe le plus de représenter, nous ferons naître un cadre fictionnel ou documentaire.
Nous chercherons à donner consistance aux personnages de cette forme, à travailler la matière brute qu'est l'improvisation en abordant les différentes techniques du théâtre (espace, rythme, corps, voix). Il est essentiel pour nous que le texte (s’il advient) ne soit pas un préalable au travail de plateau mais que la scène en génère la nécessité. Nous donnerons des indications d'espace, de style, d'époque, d'environnement afin de poser des contraintes suffisamment fortes pour guider le travail, mais également prêtes à dévoiler l'absurde et le comique du monde dans lequel nous nous inscrivons. Car c'est aussi le message qu'il s'agit de faire passer : peu importe la célébrité ou la reconnaissance d'une personne, les troubles, les doutes, les espoirs, les gloires et les défaites constituent notre étoffe d’humain.
Nous chercherons à inciter la création d’expériences communes, en favorisant certains projets fédérateurs : faut-il aller visiter un site ? organiser une série d’interviews qui pourront constituer
le fil rouge du spectacle ? La situation du cours le vendredi soir, de 15h à 17h, nous laisse la possibilité de prolonger vers une autre activité, et de nous autoriser à utiliser tous les moyens à notre disposition pour enrichir un univers collectif.
Nous inviterons également plusieurs personnalités qui viendront nous aider dans cette
Construction : avocats, journalistes, pourront nous aider à cerner certains enjeux dramaturgiques ou documentaires, tandis que musiciens, danseurs, vidéastes, donneront les outils adéquats pour transposer cette recherche sur la scène. Choisis parmi nos collaborateurs artistiques, les personnalités invitées viendront apporter une attention accrue sur un sujet particulier.
Pendant la phase dramaturgie de choix des portraits, le journaliste Jean-Pierre Thibaudat, ancien rédacteur à Libération et critique théâtral, pourra donner des clés de lecture et de rédaction.
Cette intervention pourra être développée par l’invitation d’un auteur ou d’un dramaturge, qui pourra l’appliquer à l’écriture théâtrale et expliquer la mécanique d’une écriture de plateau.
Le danseur et chorégraphe Sébastien Ly créée des formes courtes dans lesquelles il s’inspire de tableaux de peinture pour créer une danse. Il pourra enrichir un langage physique proposé par les élèves, et inciter à des traductions synesthésiques : traduire un texte en images, en mouvement, en chant, en dessin…
L’intervention d’un musicien, tel que David Bichindaritz ou Julien Fezans, viendra alimenter les premières intuitions en donnant des pistes scéniques concrètes : utilisation de voix transformées, composition d’une chanson réunissant tout le groupe, recherche d’un univers sonore… Ils pourront également donner des outils de prise de son et leur permettre de réaliser des interviews, qui viendront enrichir leurs premières investigations et créer une matière sonore pour le spectacle.
Le metteur en scène et scénographe Daniel Jeanneteau sera sollicité pour nous aider à établir une scénographie.
La rencontre avec des professionnels du spectacle est essentielle car elle légitime leur démarche et leur donne les outils nécessaires pour réaliser le spectacle final.
Ainsi, une présentation publique au Studio-Théâtre de Vitry clôturera l'année scolaire : ce sera pour nous l'occasion d'entrer dans un processus de création plus intense. »